jeudi 25 juin 2009

Exposition - Femmes dans la tourmente des années 1940


Par Liesel Schiffer.


Lieu de mémoire à Montparnasse.

Il n’est pas anodin de devoir grimper sur les hauteurs de la gare Montparnasse pour accéder au mémorial du Maréchal Leclerc qui abrite aussi le musée Jean Moulin. Au sortir de l’agitation citadine, on est soudain plongé dans cette laide architecture années 70, heureusement adoucie par un grand jardin perché où des Parisiens viennent lire, flirter, se reposer sous les arbres. Ce sas de tranquillité permet d’entrer dans les lieux l’esprit en alerte, l’émotion intacte afin de plonger dans l’atmosphère de la grande histoire. Jean Moulin appréciait le quartier mais c’est aussi là que le général Leclerc établit son poste de commandement le 25 août 1944 et que le général von Choltitz y signa l’ordre de cessez-le-feu.


"Du vert de gris au bleu RAF, entre Souris grises et femmes de l’ombre"
L’exposition du musée Galliéra hors ses murs se propose de tracer un portrait de la Parisienne de 1940 à 1944, forcément multiple. Rappel direct de l’éprouvant joug nazi, une photo murale montre Hitler observant Paris depuis l’esplanade du Trocadéro, lors de son unique visite dans la capitale française, le 23 juin 1940. Des Parisiennes, on voit la futile, qui semble rire des temps difficiles, adepte du style zazou, ces sortes de Muscadins et Merveilleuses du XXème siècle en vestes larges et coiffures ébouriffées. Elle danse, l’index levé, sur des mélodies de Johny Hess ou fredonne “Elle était swing” de Jacques Pills, que l’on peut écouter grâce aux oreillettes accolées à la vitrine. Il y a la prudente qui, son sac à main doté d’un compartiment pour masque à gaz, suit les consignes des directeurs de cinéma en cas d’alerte et détaille, avant le lever de rideau, le plan des abris réservés aux spectateurs de la Comédie Française. Peut-être celle-là ira-t-elle aussi pleurer aux projections de “la Ville dorée”, du “Voile bleu” ou frémir devant les sataniques grimaces de Jules Berry dans “les Visiteurs du soir”, comme le rappellent les affiches de films. Toutes font preuve de trésors d’imagination pour rester séduisantes et donner le change face à l’arrogant occupant : faute d’en trouver de réels, elles se teignent les jambes “couleur bas de soie”, improvisent des chapeaux en copeaux, papier journal, crépon, sulfurisé ou “tulle illusion” et, face à la disparition du cuir, grimpent sur d’ahurissantes semelles de bois qui leur donnent des allures de bergères en échasses. Daniel Cordier, secrétaire de Jean Moulin, s’en amuse (*) en décrivant sa rencontre avec Laure Diebold, future compagnon de la Libération : “Effectivement, le dimanche suivant, je vis arriver un bout de femme, haut perchée sur des hautes semelles en bois qui faisait, en marchant, un bruit de castagnettes ! Etonnant pour ce personnage incarnant la discrétion même.” Les cousettes, si elles ne renoncent pas à leur sainte Catherine, se confectionnent de drôles de coiffures en cartes de rationnement ou coupons d’achat… Et si l’on s’étonne de l’élégant carré Hermès exaltant les valeurs du retour à la terre – il fait plus penser au graphisme léger de Tintin qu’au texte d’Emmanuel Berl, le nègre du maréchal – on est atterré devant la laideur de cet autre carré de soie imprimé du portrait tricolore de celui qui affirma “faire don de sa personne à la France” au moment de la défaite. Heureusement, les sacs à double fond pour passeuse clandestine et résistante de la première heure, rassurent sur les engagements de certaines, comme les foulards en cartes de France détaillée pour faciliter la tâche des parachutés. La vogue du motif écossais et militaire témoigne d’une volonté de ne pas oublier ceux qui, outre-Manche, choisissent de continuer le combat. Et puis, particulièrement émouvant est le récit de Lise London, grande dame de la Résistance, qui déroule ses hauts faits comme une aventure parfaitement naturelle… Reste la période de la Libération, fêtée par le tout tricolore et les étoiles américaines. Benoîte Groult, dans son “Journal à quatre mains” (**) écrit avec sa sœur Flora, y rend hommage à sa manière aux sauveurs de l’Europe venus de loin : “On dit Hello, on danse, on mange ce qu’ils nous jettent – aucun d’eux ne savait que nous avions eu faim – on dit tendrement des mots passe-partout, on est un peu ému en se quittant, God bless you, honey, ils vous demandent une photo, ils écrivent une fois ou deux, on répond deux ou trois fois et ils s’en vont mourir en Allemagne ou vivre en Amérique.”

Assassinat d’une modiste, par Catherine Bernstein

Dans une salle de projection, quelques chaises, devant un écran, permettent de suivre, au fil d’un documentaire réalisé par la nièce de l’héroïne, la destinée si tragiquement représentative de Fanny Bernstein. Française de confession juive, cette jolie modiste ouvre sa boutique en 1932 au 4 rue Balzac, près des Champs Elysées. La mauvaise étoile des lois de Vichy au service du projet antisémite nazi arrête net cette trajectoire prometteuse. En 1940, une ordonnance instaure le recensement des entreprises juives pour les arianiser. C’est ainsi qu’en 1941, la jeune femme se voit imposer un administrateur qui vend sa société à bas prix à une catholique. Fanny n’a guère le temps de songer à trouver une autre source de revenus. Arrêtée en septembre 1942 puis expédiée à Auschwitz, en Pologne, elle y est gazée. Un petit chapeau de feutre rose au style tyrolien à la mode de l’époque, témoigne, de manière poignante, du talent de la créatrice martyre. Une parmi des millions d’autres qu’il ne faut pas oublier.

Exposition “Accessoires, objets, témoignages de vies de femmes à Paris 1940-1944” au Mémorial du maréchal Leclerc, musée Jean-Moulin, Paris XVème arrondissement, jusqu’au 15 novembre 2009.

Quelques lectures dans la foulée, en plus du catalogue de l’exposition :
- Fabienne Falluel et Marie-Laure Gutton, “Elégance et système D”, Paris Musée, Paris, 2009.
- (*) Guy Krivopissko, Christine Levisse-Touzé, Vladimir Trouplin, “Dans l’honneur et par la victoire, les femmes compagnon de la Libération”, Tallandier, Paris, 2008.
- Dominique Veillon, “la Mode sous l’Occupation”, Payot, Paris, 1990.
- (**) Benoîte et Flora Groult, “Journal à quatre mains”, Denoël, Paris, 2002.
- Dominique Fernandez, “Ramon”, Grasset, Paris, 2008.

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